15 August 2019

L'industrie de la musique depuis quelques années est en phase (r)évolutionnaire. Nous sommes quittés des vinyles aux cassettes, des cassettes aux CDs, des CDs aux plateformes de téléchargement en ligne et au streaming. Nous sommes également quittés de la relation distante entre le consommateur et le consommé grâce au digital. Cette relation à distance qui était auparavant caractérisée par la difficulté à donner un feedback suite à l'écoute d'un projet musical (single/album). En gros, à une époque, tu achetais ton CD de Daniel Baka'a à la Poste Centrale et si ça ne te plaisait pas, tu pouvais tranquillement boire du matango pour dissoudre le macabo effervescent qui gondolait ton larynx. Et le concerné n'avait que ses chiffres pour danser. Ce qui est bien différent de nos jours.

Les réseaux sociaux aujourd'hui, permettent de partager les avis (positifs/négatifs) du consommateur qui sont susceptibles d'influencer les chiffres de ventes d'un produit. Car si un pourcentage distingué de consommateurs flingue un(e) artiste, y'a bel et bien un disque qui ne tourne pas rond. Mais bienvenu au Cameroun, pays pseudo-démocratique, où l'émission d'un avis négatif est preuve de non-patriotisme. Bienvenu au Cameroun, Nation où il faut supporter son frère même quand ses activités sont inesthétiques, où il faut donner à Pulchérie ce qui appartient à Marguerite.

Samedi 03 Août 2019,

Sur la toile surgit une interview de l'artiste Tekno, de son vrai nom, Augustine Miles Kelechi, 26 ans, ressortissant nigérian (oui, encore eux). Dans cette vidéo, le jeune musicien-producteur déclare avoir reçu pour un showcase au Cameroun, une modique somme de $110.000 (environ 64 millions de FCFA) pour un double concert organisé par Johnnie Walker au mois d'Avril dernier dans les villes de Yaoundé et Douala. La question qui revient suite à la divulgation de cette info est la suivante : "Comment osent-ils offrir une telle somme à un étranger pourtant les artistes locaux n'en touchent pas autant ?" Seul le directeur marketing de l'entreprise concernée pourrait nous donner la raison. Mais avant de sortir les AK-47 qui nous servent de claviers, il est important de se poser la bonne question, qu'on va se permettre de reformuler ainsi : "Pourquoi offrent-ils un tel cachet à un tel artiste ?"

C'est un peu souillant de sortir sa carte nationale d'identité quand on parle du business qu'est la musique, qui en général, n'a pas de frontières. Ça aurait certainement été moins scandaleux si c'était Wizkid ou Davido mais la réalité est : Les entreprises organisant des activités événementielles ouvertes au public, ne prennent que des décisions qu'elles jugent rentables. Elles ont certainement estimées que la demande de l'artiste n'était pas démesurée au regard de ce que pouvait rapporter cet événement directement et indirectement à travers la billetterie du concert ou la vente de leurs produits lors de l’événement et après. Devons-nous leur en vouloir de faire du profit ? Certainement pas car "ne râle que celui qui rationne". 

Deuxièmement, avant de parler de qui mérite quoi, il est important pour tout prestataire de savoir se vendre. Il est peut-être grand temps pour que les artistes apprennent à mieux négocier leurs cachets. Si vous estimez que vos prestations valent le prix d'un ventilateur, vous n'en vaudrez pas plus et JAMAIS un organisateur ne vous proposera plus, même s'il estime que vous valez le coût et le coup. Les moutons ne valent les mêmes prix que si le proprio du troupeau en décide ainsi. Cela vous incombe donc la responsabilité de fixer des grilles tarifaires approximatives selon vos notoriétés, tout en restant raisonnables et considérant la réalité économique des fans et potentiels consommateurs. Value your art.

Néanmoins, serait-il judicieux de mettre en quarantaine les organisateurs qui sous-paient ? Ils sont peut-être radins mais vous avez une relation éternelle. Vous êtes condamnés à travailler ensemble. Le but de la démarche serait juste d'inverser le rapport de force en renégociant.

Isaac Newton définissait la force comme une action mécanique exercée par un objet sur un autre et capable d'imposer une accélération. L'élément déterminant de sa théorie étant la masse de l'objet. Ainsi, pour qu'un objet en mouvement exerce une force résultante sur un autre objet, il fallait qu'il ait une masse considérable. 

Quel est le rapport de masse entre l'artiste commettant et l'entreprise commissionnaire ?

L'argent. La personne qui a l'argent part toujours avec un avantage. Les seules fois que cela est inversé c'est quand le produit est de qualité suffisante à imposer son tarif. Tout créateur de contenu/produit devrait donc se concentrer sur la qualité de son produit. C'est la seule issue. Dès que la qualité de la musique sera jugée rentable sur tous les points, vous n'aurez même plus à négocier. C'est valable pour TOUS les secteurs d'activités ayant relation client-acheteur. Que ce soit un business de tomates ou l'achat d'un Boeing 737 Max.

Cependant, il faudrait que les labels revoient leurs stratégies marketing. Les showcases ne peuvent pas être les seuls moyens de revenus pour un artiste. Les artistes les plus prolifiques vendent leurs chansons d'abord avant de vendre le chant de ceux-ci lors des tournées. L'exemple le plus approprié serait le couple Carter (Beyoncé & Jay-z) qui en 2018 sur la tournée On The Run 2 a empoché près de 254 millions de dollars selon Variety, citant une étude menée par Pollstar. Inutile de préciser que Mrs Knowles-Carter à elle seule compte près de 200 millions de disques vendus dans le monde. Diva.

Ce qui implique que seul le contenu compte. Seuls les albums permettraient à nos artistes d'élargir leurs publics, convertir leurs clients en fans et fédérer leurs communautés musicales respectives à travers des concerts et événements qui conséquemment, généreront ces sommes qu'ils estiment être leur dû.

Partager cet Article

Lottin Laurent

En savoir plus

Commentaires